Le rāja-yoga ou le yoga de Patañjali

Ce yoga "classique" est considéré comme l’un des six dārśaṇā (point de vue) de l’hindouisme. Le texte fondamental du yoga est le Yoga-sūtra attribué au sage Patañjali. On appelle encore ce système « rāja-yoga » ou Yoga royal. L’auteur indique que ce darśana a pour but la réalisation de l’union et expose les moyens d’y parvenir.

L’accent y est mis sur l’effort de l’homme et sur son autodiscipline, par lesquels il peut obtenir la concentration de l’esprit. Tout cela a pour but d’unifier l’esprit, de diminuer la dispersion et les automatismes qui caractérisent la conscience au quotidien.

Pour le yoga, la condition humaine trouve ses racines dans une illusion : l’homme croit que sa vie mentale est identique à ce que l’on appelle  notre « Soi » profond. Or, ce sont deux réalités liées mais différentes. Le moyen pour parvenir à la « Délivrance » par le rāja-yoga consiste alors à suspendre les fonctionnements psychiques. En effet, le mental étant d’ordre individuel et donc limité, il ne permet pas de saisir la dimension plus vaste de la réalité.

L’ « éveil » survient lorsqu’on a intégré cette vérité et lorsque l’esprit recouvre sa liberté initiale. C’est une prise de conscience d’une situation qui existe déjà.

Ainsi, nous pouvons dire que le but du rāja-yoga est de substituer la conscience normale par une conscience qui puisse atteindre cette vérité métaphysique. Pour y parvenir, le yoga prend comme moyen fondamental la concentration.

Afin d’atteindre le but visé, Patañjali propose huit étapes successives que l’on nomme « aṣṭāṅga-yoga » ou yoga à huit membres. Les cinq premières étapes sont considérées comme externes et les trois dernières comme internes :

1/ Yama : les réfrènements

2/ Niyama : les observances

3/ Āsana : la posture

4/ Prāṇāyāma : le contrôle du souffle

5/ Pratyāhāra : le retrait des sens

6/ Dhāraṇā : la concentration

7/ Dhyāna : la méditation

8/ Samādhi : l’union

La première, yama (refrènements), s’occupe des relations de l’individu avec son entourage. Ces règles de base peuvent s’appliquer à n’importe quel individu et pas seulement au disciple du yoga. Ces règles consistent à ne faire de mal à aucun être, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas être possessif et pratiquer la modération sexuelle.

Ensuite, niyama (observances) suggère quelques disciplines qui favorisent l’avancement du disciple. Il s’agit d’une série de nettoyages du corps, contentement, ardeur ascétique, étude de la doctrine et enfin, une prise de conscience de l’aspect divin de chaque action menée.  

Il est à souligner que ces deux premières étapes ne sont pas de l’ordre de la morale, mais ont principalement pour but l’harmonisation du psychisme, afin de pouvoir faire face aux étapes suivantes de l’aṣṭāṅga-yoga  dans les meilleures conditions.

Āsana (la posture) est définie par Patañjali comme devant être « stable et agréable ». En effet, avec l’āsana on évite l’inconfort de certaines parties du corps. On règle les processus physiologiques et l’on permet ainsi à l’attention de s’occuper exclusivement de la partie fluide de la conscience.

Au début, l’āsana peut être difficile. Mais après un certain entraînement, l’effort de maintenir le corps dans la même position devient minime. C’est d’une importance capitale, l’effort doit disparaître, la position méditative doit devenir naturelle, et c’est alors seulement qu’elle facilite la concentration.

Une fois l’āsana maîtrisée, arrive le prāṇāyāma (contrôle de la respiration). Patañjali écrit que « le prāṇāyāma est l’arrêt des mouvements inspiratoires et expiratoires et il s’obtient après que l’āsana ait été réalisé ». L’objectif final est de rythmer aussi lentement que possible la respiration, voire la suspendre complètement.

Il existe en effet une liaison entre la respiration et les états mentaux. On essaie ainsi au moyen du prāṇāyāma d’obtenir la concentration, puis de supprimer l’effort respiratoire, le rythmer jusqu’à l’automatiser afin que le yogi, dans sa méditation, puisse l’oublier.

Patañjali définit la cinquième étape, pratyāhāra, comme « …l’imitation du mental par les sens en se retirant de leurs objets ». Il s’agit d’isoler l’esprit des objets externes par l’arrêt de l’activité des sens. Dans le sūtra suivant, il est indiqué que pratyāhāra a comme résultat « la plus grande maîtrise des sens » afin que le yogi puisse réaliser, sans distraction, la concentration.

Le dhāraṇā est le premier stade « interne » de l’aṣṭāṅga-yoga et il désigne la concentration. Cette concentration a pour résultat immédiat la mise en veille de toutes les distractions et de tous les automatismes mentaux qui dominent et qui en font la conscience habituelle.

Par cet exercice, on obtient une véritable volonté, c'est-à-dire le pouvoir de régir librement une part importante de l’activité psychosomatique.

La concentration peut prendre pour support, surtout au début, une pensée quelconque, un symbole tel qu’un mot ou une image. Ensuite, ces moyens deviennent secondaires. Néanmoins, ils ne sont nullement négligeables, car ils peuvent avoir une très grande efficacité pour faciliter la réalisation.

La méditation, ou dhyāna, commence lorsque la concentration s’est stabilisée. Méditer, au sens yogique, n’est pas penser, mais au contraire passer au-delà de la pensée individuelle et rationnelle pour atteindre l’intuition profonde. D’ailleurs, l’état de méditation n’est pas à confondre avec l’extase ou une transe, car la méditation est en quelque sorte active et non pas passive comme ces derniers.

Une fois que l’initié se tient immobile, avec une respiration suspendue et une attention fixée sur un seul point, le yogi devient indépendant de son entourage. Il est concentré, unifié. Cette retraite est accompagnée d’une plongée en soi-même.

La réalisation métaphysique consiste alors essentiellement dans l’identification de l’individu au « Soi ». Le yogi, en atteignant un état de conscience supérieur, pourra remonter jusqu’au « Soi », puis s’identifier à lui.

La sagesse du yogi connaît toutes chose telles qu’elles sont. Le samādhi (l’union) est le résultat final et le couronnement de tous les efforts et exercices spirituels du pratiquant. Le samādhi est un état irréversible, invulnérable aux stimuli.

C’est un état où l’être et le connaître ne sont plus disjoints l’un de l’autre. Fixée dans le samādhi, la connaissance peut avoir la révélation immédiate du « Soi ». Le yogi dans cet état ne vit plus dans le temps, mais dans l’éternel présent. Au sens propre du mot, il est celui qui a réalisé l’union parfaite et définitive.

Le yogi qui a atteint le plus haut niveau de Samādhi est considéré comme dissous dans l’Absolu. Sa conscience individuelle est censée être totalement immergée dans la « Conscience Suprême » à la fois immuable et dynamique qui manifeste, régit et résorbe cet univers.

Sources:

Eliade M. (1954), Le yoga, Payot, 1991.

Feuga P. et Michaël T. (2004), Le Yoga, Puf, 1998

Guénon R. (1946), Aperçus sur l’initiation, Paris, Editions traditionnelles, 1964.

Guénon R. (1921), Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, Paris, Editions Trédaniel, 1997.

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